Violences contre les policiers : les forces de l’ordre clament leur ras-le-bol

Tribune publiée dans LE MONDE le 17 janvier 2019

Depuis neuf semaines, nos forces de l’ordre sont mobilisées pour assurer la sécurité des Français et maintenir l’ordre public. Neuf samedis se sont succédé qui leur ont apporté plus que leur lot d’insultes et de projectiles aussi variés que des pavés, des crachats, de l’acide et même des trottinettes !

Aujourd’hui, nos policiers sont épuisés et espèrent plus que tout que leur ras-le-bol sera entendu et compris, non seulement par nos dirigeants, mais aussi par la population. Leur investissement depuis le début de cette crise est total, et leur mission, rendue double par la nature-même du mouvement des « gilets jaunes », qui rassemble aussi bien des contestataires respectueux de l’ordre et des institutions républicains, qu’il convient de protéger, que des militants plus radicaux, qui font fi des règles liées au droit de manifestation, et que nos policiers se retrouvent obligés de contenir et de maîtriser.

Il faut ainsi que chacun se rende compte de la complexité de l’équation entre mission de sécurisation et mission de maintien de l’ordre lorsque rassemblements pacifiques et rassemblements violents se déroulent en même temps, voire se rencontrent. Difficile alors de discerner quelles personnes sont à protéger, et lesquelles sont à contenir.

De plus, les insultes incessantes et la chute de popularité des policiers dans l’opinion publique ont un rôle conséquent sur le moral de ces derniers. Partout, ils sont décrits comme le « bras armé » du gouvernement, dont l’objectif premier serait de réprimer. C’est oublier la définition première de l’expression « gardien de la paix » : un « gardien de la paix » est un agent police équipé d’une arme qui va d’abord et avant tout assurer la sécurité de ses concitoyens, et agir de manière préventive pour maintenir l’ordre et le respect de la loi dans les lieux publics, ceci justement afin d’éviter les interpellations et les violences. La répression n’arrive qu’en dernière position dans la liste de ses attributions, et c’est un recours qu’aucun policier n’a plaisir à mettre en œuvre.

Lors des manifestations, beaucoup se sont plaint des violences policières, pourtant une seule fois une arme létale a été sortie, et dans un but de dissuasion uniquement. Certes, les forces de l’ordre utilisent des lanceurs de balles de défense qui peuvent faire mal, mais en aucun cas tuer, et c’est bien la moindre des choses quand on voit les prises à partie et les tabassages dont ils sont les victimes : qui accepterait de se livrer « nu » à une foule décidée à en découdre ?

Je tiens à saluer ici le sang-froid de tous ces hommes et ces femmes, à qui l’idée de devoir se servir de leur arme répugne, ainsi que leur sens aigu de la vocation, car je connais peu de métiers où l’on impose des plages de travail à rallonge, des heures supplémentaires non-payées – 28 millions d’euros d’arriérés d’heures supplémentaires sont au débit de l’État à l’heure actuelle ! – des jours de repos annulés ou reportés, et des heures de service de nuit « payées » 0,97€/heures, que des individus accepteraient de continuer à exercer malgré tout !

Le tout assorti d’une absence concrète de reconnaissance de la part des citoyens qu’ils servent, et le plus souvent des instances politiques qui leur donnent des ordres. Je dis « le plus souvent », car je veux souligner un geste notable de la part du gouvernement, qui a accepté de financer une hausse des salaires de l’ensemble des forces de l’ordre, allant de 120 à 150€/mois selon le grade, en lieu et place de la prime accordée aux policiers envoyés sur le terrain lors des manifestations. Car ce ne sont pas seulement les agents missionnés les samedis qui sont concernés par cet épuisement, c’est le corps policier dans son ensemble.

Nos forces de l’ordre sont composées d’êtres humains comme vous et moi, avec une famille qui s’inquiète pour eux, un souci de leur sauvegarde physique et des convictions personnelles, qui peuvent se révéler proches de celles défendues par ceux qu’ils affrontent chaque samedi, mais qu’ils sont obligés de taire pour des raisons éthiques. Négliger leur courage et ne pas entendre leur cri d’alarme, c’est prendre le risque de voir progressivement le chaos et la discorde gagner du terrain dans notre pays, en franchissant un pas de plus dans la déshumanisation de cette crise.

Il ne peut rien sortir de bon, colère contre colère. Notre seule issue en tant que peuple français est dans le dialogue et dans la considération accordée à l’ordre républicain et à ses représentants. En ce début d’année 2019, je formule donc ici, en tant qu’ancien policier mais aussi en tant que citoyen, un vœu de réussite pour cette opportunité d’ouverture du dialogue qu’est le Grand Débat National, afin que notre nation se retrouve plus apaisée et plus unie dans un avenir proche.

Bruno Pomart
Ex-policier du Raid, Police Nationale
Maire sans étiquette de la commune de Belflou dans l’Aude,
Auteur du livre “Flic d’élite dans les cités” paru en mars 2009 aux éditions Anne Carrière
Président et fondateur de l’association Raid Aventure Organisation – www.raid-aventure.org