C’était un fait prévisible, il est désormais avéré : le confinement et les contraintes sanitaires actuelles ont sévèrement détérioré les conditions de vie des habitants dans les quartiers dits « sensibles ».
Cette population précaire paie plus que toute autre son tribut au Covid-19, du fait de la promiscuité dans les logements, et d’un accès aux soins plus compliqué que dans d’autres zones car les professionnels de santé à s’installer dans les quartiers ne sont pas légion.
Moi qui ai vécu cette période à la campagne, dans le village dont je suis maire, j’ai déjà trouvé le temps long. Imaginez donc la situation pour des familles souvent nombreuses entassées dans des appartements exigus. Comment s’étonner que les jeunes bravent les interdits liés au confinement en se réunissant malgré tout dans la rue, renforçant ainsi les avec les forces de l’ordre chargées de faire respecter les règles tout en évitant les accrochages et les risques d’émeutes ?
Par ailleurs, à Strasbourg, Arcachon et Marseille, on a pu également voir des rassemblements, notamment autour de match de foot de rue qui ont fait prendre des risques à des centaines de personnes ! Mais qui pourrait les blâmer, quand toute vie associative, toute fête de quartier, tout ces moments d’échanges humains qui y rendent la vie acceptable ont été supprimés et ne pourront pas avoir lieu non plus dans les conditions habituelles ?
Enfin, l’un des phénomènes les plus dramatiques réside dans le décrochage scolaire d’enfants qui n’ont pas ou peu accès à l’outil informatique – soit qu’ils soient issus de familles nombreuses ne disposant que d’un seul ordinateur pour tout le monde, soit qu’ils n’aient pas du tout d’ordinateur à la maison – ou encore dont les parents n’ont pas les moyens ou les capacités d’accompagner leur enfant dans le processus de l’enseignement à distance – à cause de leur obligation de travailler ou encore dans leur faible niveau d’instruction.
Les inégalités rencontrées par les habitants de ces quartiers, tout particulièrement en matière d’éducation avec des centaines de milliers d’enfants littéralement « disparus des radars », ont ainsi été renforcées par la crise que nous traversons. En réponse à ceci, le Ministère de l’Éducation Nationale travaille sur un projet de « vacances apprenantes » pour l’été 2020, afin de combler les lacunes accumulées durant le confinement et la fin d’année scolaire. À l’origine prévues dans des écoles restées ouvertes, elles seraient finalement prises en charge par des colonies de vacances, pour lesquelles les inscriptions ouvriraient le 22 juin, suite au point d’étape prévu par le gouvernement.
Outre le fait qu’il me semble assez prétentieux de vouloir rattraper en deux mois d’été un retard de quatre mois scolaires, je voudrais insister sur le besoin qu’ont ces enfants déjà défavorisés d’avoir accès à de « vraies » vacances. Autrement dit, ces « vacances apprenantes » ne doivent en aucun cas reproduire un cadre scolaire, avec horaires et programmes, mais rester des temps de repos et de détente, ceci afin aussi de permettre à ces enfants de retrouver un équilibre après la souffrance psychique imposée par le confinement.
Avec mon association Raid Aventure, quoique la plupart de nos salariés aient été placés en chômage partiel, nous avons poursuivi nos actions en direction des quartiers, par des actions bénévoles menées par les policiers intervenant d’ordinaire sur le dispositif Prox’, mais aussi par l’entretien et la mises aux normes sanitaires de notre site de Dreux, afin de préparer l’après et de pouvoir accueillir les jeunes dans les meilleures conditions possibles. Aujourd’hui, nous sommes fin prêts à participer à cet élan éducatif.
Toutefois, nos équipes ne se substitueront pas aux professeurs – qui ont aussi besoin de souffler après l’effort inédit qui leur a été demandé, et qui je l’espère sera reconnu à sa juste valeur dans la durée. Nous ferons ce que nous savons faire : accompagner les jeunes au cours d’activités sportives et d’actions citoyennes, qui sont déjà des biais d’apprentissage.
Pour le reste, en les associant à nos projets de vacances, pourquoi ne pas faire appel aux étudiants, aux intermittents du spectacle, aux artistes, à tous ces travailleurs précaires que le confinement a déstabilisés, voire traumatisés, financièrement et moralement ? Eux seraient à même de proposer des ateliers ludiques où les enfants apprendraient en s’amusant aussi bien les bases de la langue française que les mathématiques, l’histoire, etc. Il est tout à fait possible de parler d’arithmétique à partir de musique ou encore de grammaire à partir de théâtre ou de slam ! L’occasion également de muscler le dispositif du service civique pour inclure plus de jeunes dans l’engagement volontaire au service de l’intérêt général ouvert aux 16 -25 ans sans condition de diplôme. Bénéfique à la fois aux jeunes dans leur parcours personnel et professionnel, et à la société ! L’emploi des jeunes doit être une priorité nationale absolue du plan de relance de notre économie.
Cette façon d’associer apprentissage et amusement n’est d’ailleurs pas nouvelle : c’est la base de l’éducation active à laquelle sont formés la plupart des moniteurs titulaires du BAFA ! Le « centre aéré », comme on l’appelait dans le temps, c’était déjà des « vacances apprenantes » !
De plus, cette façon différente d’apprendre réussit à beaucoup de décrocheurs, alors qu’ils ne parviennent pas à se glisser dans le moule scolaire. Notre école aurait donc beaucoup à retirer de cette expérience du confinement : elle nous a montré qu’il était possible de faire autrement. Les « vacances apprenantes » ou l’éducation active, qui ne sont pas sans rappeler les principes des « écoles nouvelles » (Montessori, Steiner, etc.) doivent ainsi s’inscrire dans une vaste réflexion sur l’éducation que nous voulons donner à nos enfants : surcharge des classes, enseignement unique au nom de « l’égalité des chances », sacro-saints programmes, tout ceci a complètement explosé, et pourtant l’école a survécu !
Le confinement nous a poussés à réinventer notre façon d’apprendre et d’enseigner. Il nous faut continuer dans cette lancée ! Nous devons investir pleinement l’école dans son rôle de formation des individus dans leur diversité, leurs particularités. Nos enfants sont l’avenir de notre société et de notre nation : si nous ne prenons pas soin d’eux dans toutes leurs dimensions, aussi bien intellectuelles qu’affectives, psychiques, etc., qui sait vers quelle révolte plus grave encore que ce satané virus nous nous acheminerons ?
Bruno Pomart
Ex-policier du Raid, Police Nationale
Maire sans étiquette de la commune de Belflou dans l’Aude,
Auteur du livre “Flic d’élite dans les cités” paru en mars 2009 aux éditions Anne Carrière
Président et fondateur de l’association Raid Aventure Organisation – www.raid-aventure.org