Le Salon de l’Agriculture 2019 a ouvert ses portes le 23 février dernier. En tant que maire d’une commune rurale, hautement concerné par les problématiques auxquelles sont confrontés les agriculteurs, je m’y suis rendu le 25 février et j’ai été frappé par le contraste entre la vision de ce métier présentée dans les allées du Salon et la réalité que subissent la majeure partie de ceux qui l’exercent dans notre pays.
Quand j’ai parcouru le Salon, je n’ai trouvé que visages souriants et optimisme. C’est à peine si quelques uns, lorsqu’on leur pose la question, évoquent leurs difficultés. Tout est mis en œuvre pour satisfaire et rassurer le consommateur, ce qui est une bonne chose, mais n’oublions pas l’envers du décor.
L’agriculture française traverse actuellement une crise sans précédent : outre le fait que le mode de culture « conventionnel », intensif, détruit peu à peu les terres arables – rappelons que nous mangeons grâce aux 10 à 20 cm de terre en surface seulement, et que leur stérilisation à coup de pesticides et d’engrais chimiques accroît le risque de crise alimentaire majeure à court ou moyen terme – le système de distribution qui leur est imposé, le plus souvent, part d’un prix le plus bas possible pour le consommateur et remonte la chaîne jusqu’à l’agriculteur qui se retrouve alors avec la portion congrue, et un prix de vente de ses produits inférieur à ses coûts de production.
De là ne peuvent qu’émerger les nombreuses faillites d’exploitation auxquelles nous assistons, ainsi qu’une montée en flèche du nombre de suicides chez ces personnes passionnées mais prises à la gorge par le modèle agro-alimentaire dominant. Et quand ces dernières se maintiennent, les revenus qui s’en dégagent pour l’exploitant sont dérisoires : Emmanuel Macron, dans son discours sur le Salon, parlait d’un tiers des agriculteurs qui toucheraient moins de 350€ par mois !
Même si ce chiffre peut sembler exagéré et que les revenus réels des agriculteurs différent beaucoup selon les filières et les tailles d’exploitation, il n’en reste pas moins que la majorité d’entre elles doivent leur survie aux aides européennes, à travers la PAC (Politique Agricole Commune), qui montre aujourd’hui ses limites, voire selon certains points de vue son obsolescence – en effet, elle ne prend pas en charge, par exemple, les aléas météorologiques liés au réchauffement climatique, et se fonde en premier lieu sur les rendements plutôt que sur les effets sur l’environnement.
Quoique l’Europe se montre moins protectrice ces dernières années, la PAC pèse encore 50 milliards d’euros par an et bénéficie largement à la France, puisqu’en 2017, elle percevait encore 7,44 milliards d’euros à ce titre ! La plus grande latitude laissée au gouvernement sur la façon de redistribuer ces sommes depuis 2014, qui a permis de pallier un tant soit peu ses faiblesses, notamment en termes climatique et environnemental, a toutefois laissé de grandes zones de flou sur leur traçabilité et sur les délais de versement de ces subventions.
C’est ainsi que l’État français se retrouve attaqué par un collectif d’agriculteurs bio pour non-versement des aides qui leur étaient dues depuis 2015, ce qui n’a fait qu’aggraver leur situation financière – tous ne se sont pas joints à cette action, mais ils sont plusieurs dizaines de milliers dans ce cas ! Ceci est d’autant plus étrange à l’heure où les consommateurs, mais aussi les politiques, affichent leur soutien à l’agriculture biologique.
Par ailleurs, la PAC a vu se développer, chez certains de nos voisins européens, des dérives massives, comme par exemple en Slovaquie où de véritables mafias ont pris le contrôle des terres agricoles pour détourner les fonds européens. C’est d’autant plus grave que même le Premier Ministre est impliqué dans ces combines ! Il est donc primordial de réviser les objectifs de ces aides européennes, pour les rendre plus vertueuses à l’heure de la transition alimentaire et donc agricole, mais aussi de renforcer les contrôles afin que ces aides, financées par les États – donc par nos impôts – aillent bien dans les poches de ceux qui en ont besoin.
Enfin, il est urgent de réconcilier agriculture et écologie : cessons de stigmatiser les producteurs, comme le font certains groupes écologistes à travers des vidéos chocs, car cultivateurs et éleveurs sont les premiers écologistes de France, et pour cause, la terre est leur outil de travail ! Ils sont les mieux placés pour parler de santé et de bien-être animal – il ne faut pas les croire insensibles à l’envoi de leurs bêtes à l’abattoir – et gageons que la baisse de la consommation de viande, qui s’inscrit dans la durée, permettra de revenir à des modes de production et à des conditions d’abattage plus sains. Car nous sommes tous acteurs du devenir de notre agriculture : si nous privilégions le local, les agriculteurs auront moins besoin de se tourner vers l’exportation pour vivre décemment et dépendront moins des revirements diplomatiques entre les États – comme actuellement l’embargo sur la Russie.
L’agriculture française et le consommateur français peuvent, et doivent, aujourd’hui faire ensemble le pari de la qualité, en lieu et place de la quantité. La protection de nos savoir-faire et du bon sens qui les sous-tend va de pair avec la volonté de la plupart des Français de mieux manger. Faire le choix de l’avenir de notre agriculture pour lui rendre sa compétitivité et son attractivité, avant d’être devancés par nos voisins européens, c’est donc un enjeu pour maintenant !
Bruno POMART
– Maire sans étiquette de la commune de Belfou dans l’Aude
– Président et fondateur de l’association Raid Aventure Organisation www.raid-aventure.org
– Ex-policier du Raid – Police Nationale – Chevalier de la Légion d’honneur – Chevalier de l’ordre National du mérite
– Auteur du livre « Flic d’élite dans les cités »