
Le constat est sans appel : la République a manqué son rendez-vous avec les quartiers. Leurs dysfonctionnements, présents bien avant l’arrivée de la Covid-19, l’État les a laissés s’installer peu à peu, en se désengageant de leur terrain. Aujourd’hui, nous avons le devoir de le réinvestir, en partenariat avec les acteurs locaux, d’aller à la rencontre de leurs habitants pour identifier leurs besoins et simplifier les démarches à leur disposition pour y répondre. Si nos institutions ne réagissent pas dès maintenant, la situation ne fera qu’empirer, avec les conséquences sociales et sécuritaires que la crise sanitaire ne fait qu’éclater au grand jour.
La première erreur commise a été le retrait précipité des polices de proximité, avant même qu’elles aient eu l’occasion de faire leurs preuves, à l’instar des nombreux dispositifs proposés depuis 40 ans.
La présence de ces polices dans les quartiers constituait pourtant un signal fort aux yeux des populations : à travers eux, chacun savait que le quartier n’était pas une zone de non-droit, que la République était représentée et pouvait intervenir à n’importe quel moment. Ceci avait un caractère dissuasif certain car, quand un policier est identifié personnellement, qu’il connaît les moindres recoins de son quartier, cela accorde moins de possibilités aux trafiquants ou aux bandes d’organiser leur guérilla.
Aujourd’hui, quand la police intervient, elle tombe dans de véritables traquenards. De plus, ses préjugés sur la banlieue favorisent une attitude hostile et répressive, alors que seule la prévention est efficace dans ces cas-là. Dans ce but, il faudrait plus de « cheveux blancs » dans les commissariats, plus de policiers expérimentés, qui feraient figure d’autorité et garderaient le recul nécessaire pour rester constructifs.
Le droit au sentiment de sécurité devrait être le même partout. Mais pour vivre ensemble, il faut d’abord faire ensemble. La proximité dans un même quartier de personnes de cultures très différentes, qui apprennent à se connaître, donc à se respecter et à s’entraider, voilà ce qui fait la force des quartiers. Mais cette force y reste cachée, car leurs habitants, à force de se dénigrer eux-mêmes, finissent par développer leurs propres codes, qui créent des décalages avec le reste de notre société.
De nos jours, il existe un vrai cloisonnement, d’une part entre les habitants des quartiers et les autres catégories de population, d’autre part entre les différents acteurs qui pourraient améliorer leur quotidien, leur accès à la formation et à l’emploi. La complexité administrative pour obtenir des aides ou simplement une information claire et simple est le premier facteur de renoncement de ces personnes. Or le rôle des services de l’État, à travers la Politique de la Ville, c’est aussi d’aider au décloisonnement, de faciliter les rencontres par la mise en présence des acteurs, le parler vrai en direct, et le suivi des dossiers.
Aujourd’hui, le monde a changé, nous sommes face à un monde de l’argent, où ceux qui sont doués pour l’administratif trouvent tous les moyens d’obtenir des financements pour des projets pas toujours en adéquation avec les valeurs républicaines, au détriment de ceux qui mènent des actions bénéfiques sur le terrain mais sont rebutés par la « paperasse ». Les contrôles sur les destinations et l’utilisation réelles de l’argent public devraient être systématisés, ainsi que les fermetures d’associations contraires aux principes de la République, afin de faire le tri parmi elles et ne mettre en lumière que celles qui agissent réellement pour le bien commun.
Dans le même souci de l’intérêt général, les querelles politiciennes entre maires d’un bord et région de l’autre bord doivent être dépassées. Il est incompréhensible de voir certaines aides refusées ou éludées par des maires, uniquement parce qu’elles viennent d’une instance supérieure qui n’a pas la même couleur politique ! Au bout du compte, ce sont les populations des quartiers qui en pâtissent, bien souvent à leur insu !
L’amélioration des conditions de vie dans les quartiers ne passera que par une collaboration étroite et sincère entre l’ensemble des acteurs locaux, régionaux et nationaux. C’est le « travail de la fourmi » qui est important, qui donne ce sentiment d’être utile ! Non ce besoin inconsidéré de « tirer la couverture à soi » ! Cette façon de traverser la vie comme dans une grande téléréalité abîme notre vivre ensemble, ainsi que le rapport des jeunes à la valeur du travail.
Les jeunes des quartiers ont souvent l’impression que, pour eux, tout est plus dur qu’ailleurs. De nombreux fantasmes circulent sur ce qui se fait dans d’autres pays, en particulier aux États-Unis. À nous de leur montrer que, même s’il n’est pas parfait, notre pays a quand même des avantages incommensurables à leur offrir. La Sécurité Sociale est le premier d’entre eux !
De même, ces jeunes ne se rendent pas compte à quel point la liberté est garantie dans notre pays. Aux États-Unis, comme en Afrique du Sud, les cultures « raciales » sont encore profondément ancrées. Nous pouvons être fiers de nous sentir Français, quelle que soit notre couleur de peau, notre statut social, ou encore notre orientation sexuelle.
Certes, les mesures de « discrimination positive », tout comme la nécessité de créer une délégation à l’égalité des chances, signalent que notre pays a ses lacunes en matière d’égalité, mais nous ne pouvons pas tout demander à l’État, il appartient aussi à chacun de croire en ses propres opportunités. Arrêtons de nous comparer les uns aux autres et passons à l’action !
Nos quartiers ont plus que jamais besoin de la présence de l’État entre leurs murs, pas seulement quand ça va mal, mais également quand il s’agit de récompenser des initiatives locales, de reconnaître des mérites et des actions positives. L’estime et la reconnaissance sont ce qui manque le plus à ces populations, nous pouvons les leur accorder sans effort énorme pour la collectivité, alors pourquoi nous priver d’autant d’esprits créatifs, de forces vives, d’acteurs de notre de richesse culturelle ?
Bruno Pomart,
Ancien policier instructeur au Raid
Président et fondateur de l’association Raid Aventure Organisation
Jean-marc Mormeck,
Sextuple champion du monde de boxe
Délégué régional aux Quartiers populaires
Crédit photo Jean-Marc Mormeck : Sacha Héron