Rendez-vous manqué avec les banlieues

Le 22 mai 2018, M. Macron a tenu son discours, très attendu, sur sa vision pour l’avenir des territoires et les mesures qu’il comptait prendre en particulier pour améliorer la vie dans les banlieues. Et le constat est décevant : s’il devait s’en inspirer au départ, le Président n’a retenu que peu de points du rapport Borloo, qui lui avait été remis en avril précédent. Pourtant, ce rapport contenait de nombreuses pistes intéressantes – voire urgentes pour certaines – afin de « favoriser l’émancipation » de ces quartiers, comme M. Macron l’annonçait lui-même lors de sa campagne.

Finie donc l’idée d’un « plan banlieue » jugée « aussi vieille que [lui] » et produit de « deux mâles blancs », cette expression qui a fait couler beaucoup d’encre alors qu’il s’agissait tout simplement de « dire que ceux qui ont pensé un rapport ou pensent en général la Politique de la Ville n’habitent pas dans ces quartiers, n’y ont pas de contacts et qu’il faut partir du terrain, apporter des réponses concrètes, précises sur la sécurité, l’éducation, la formation », rompre avec les « grands plans » produits « depuis 30 ans » sans succès.

Alors, que reste-t-il à la place ? Quelques grandes lignes, aussi floues que non chiffrées. Une mesure évoquée me semble néanmoins essentielle à la qualité de vie des habitants : la rénovation urbaine. Le bâti et le foncier devraient ainsi bénéficier d’une « dizaine d’opération d’intérêt national qui [permettront] d’accélérer le travail de requalification ».

Toutefois, le S.A.V. social doit être reconsidéré car il va de pair avec le renouveau matériel. Or, s’il prévoit des aides pour créer des places en crèches, favoriser le travail des femmes et désenclaver les territoires, le Président Macron ne souligne absolument pas le travail des associations présentes sur place, qui assurent l’essentiel des actions de proximité. Trop peu nombreuses, bien souvent faute de financements, ces associations restent l’élément déterminant de la stabilité des quartiers : en occupant le terrain et en prenant en charge les jeunes, elles leur éviteraient de partir à la dérive, via les trafics ou le salafisme – qui, eux, savent très bien comment maîtriser un territoire.

Actuellement, le vide associatif laisse largement s’installer la délinquance et les mouvements radicaux. Les quelques mesures évoquées pour lutter contre le trafic de drogues – plan à paraître en juillet – et les mouvances intégristes – collaboration renforcée, et nécessaire à mon sens, avec les maires, maigres renforts policiers, etc. –, même si elles vont dans la bonne direction, ne suffiront pas à endiguer ce phénomène, tant qu’on ne le traitera pas à la racine, au sein du vivier dans lequel puisent les réseaux mafieux ou ultrareligieux, à savoir la jeunesse.

L’éducation et le travail sont au centre de cette problématique : c’étaient même les arguments majeurs de M. Macron durant sa campagne, mais là encore, une partie du problème a été éludée dans son discours.

30 000 stages vont être créés à destination des élèves de troisième, en partenariat avec les entreprises, cependant rien n’est dit sur le volet « savoir-vivre et savoir-être », qui sont des éléments essentiels à l’intégration d’un stage ou d’un emploi : de nombreux employeurs sont très réservés par rapport à ce sujet et, tendance à attribuer des étiquettes aidant, le simple fait de résider dans un quartier défavorisé devient alors un facteur discriminant.

Le développement des testings promis par Emmanuel Macron pour lutter contre la discrimination à l’embauche est une bonne idée, mais elle ne prendra sa pleine efficacité qu’avec un travail en amont sur l’éducation, accompagné par les associations, qui ont un vrai rôle social.

Ainsi, le dédoublement des classes en CP est une bonne chose pour l’apprentissage des bases, mais il ne répondra qu’aux besoins de la prochaine génération, or la génération actuelle éprouve elle aussi, de manière urgente, la nécessité d’un rattrapage ou d’un raccrochage scolaire. Les dispositifs comme les EPIDE, qui accueillent près de 2500 élèves de 18 à 25 ans chaque année, devraient donc être multipliés, car ils répondent aux exigences à la fois d’éducation et d’autorité, autant de sésames précieux pour entrer dans une entreprise. Les écoles de la deuxième chance ont aussi un rôle essentiel.

De nombreuses associations travaillent également dans ce sens, en allant à la rencontre de ces jeunes, là où l’école trouve ses limites. Depuis 25 ans, Raid Aventure s’est engagée dans cette voie. Avec le dispositif Prox’, mise en place depuis 5 ans, notre association parcourt toute la France pour promouvoir le dialogue, la citoyenneté et les valeurs de la République, à travers des rencontres et des activités ludiques, sportives et citoyennes. En partenariat avec la préfecture, les forces de police, les mairies et les acteurs locaux, ce sont plus de 60 villes qui ont pu bénéficier de ce dispositif en 2017, avec l’accueil de 35 000 enfants et jeunes au cœur des quartiers par des policiers bénévoles.

Le Président Macron a appelé à une vaste « mobilisation citoyenne » pour aider les banlieues, mais faute de moyens humains, financiers et de volonté politique forte, cette « mobilisation » risque fort de se transformer en un énième écran de fumée sans réel débouché. L’heure n’est plus aux belles paroles, la situation de ces quartiers exige des réponses et des actions immédiates. L’État doit donner l’exemple, en prenant à sa juste mesure l’ampleur du problème et en proposant une réforme ambitieuse sur le sujet. J’entends souvent dire que le gouvernement actuel paye pour le statu quo politique des 40 dernières années, est-ce une raison pour ne faire les choses qu’à moitié, à son tour ? Il y a, dans cette période que nous vivons, une énorme opportunité à saisir, ne la manquons pas, car les conséquences en seraient dramatiques.

Bruno Pomart
– Maire sans étiquette de la commune de Belfou dans l’Aude.
– Ex-policier du Raid – Police Nationale
– Auteur du livre « Flic d’élite dans les cités »
Président et fondateur de l’association Raid Aventure Organisation
https://proxaventure.org/