Police VS jeunes des quartiers : soyons tous responsables

Tribune publiée dans Marianne le 16 octobre 2018

Il y a quelques jours, j’ai découvert avec effroi la vidéo du rappeur MHD sur Instagram, suite à l’arrestation de son frère par la police et sa déclaration : « ça s’attaque à ma famille, […] ça va pas rester impuni. » Ce qui est symptomatique dans celle-ci, selon moi, outre l’esprit ouvert de représailles, c’est la déshumanisation du « camp d’en-face », le « ça », qui ne fait qu’accroître l’incitation à la violence présente dans son propos : si l’autre n’est plus considéré comme un humain, qu’est-ce qui m’empêche de lui vouloir – et de lui faire ! – du mal ? C’est avec ce genre de logique que les extrémismes gagnent du terrain.

Peu après, sur LCI, j’ai entendu l’humoriste controversé Yassine Belattar, notoirement proche d’Emmanuel Macron, comparer l’interpellation musclée à « l’apartheid »et promettre une émeute si le prochain Ministre de l’Intérieur ne rétablissait pas le dialogue entre les jeunes des quartiers et la police. Mais que font ces deux artistes pour désenclaver leurs quartiers et pour aider ces jeunes, à part vendre des disques et/ou des places de spectacle, s’afficher avec outrance et cumuler les fans sur les réseaux sociaux ?

MHD a dû attendre que la police s’en prenne à un membre de sa famille pour faire mine de s’intéresser au sujet. Quant à M. Belattar, il n’a fait que surfer sur le buzz médiatique, sans autre solution qu’une mise en garde contre les forces de l’ordre. Cela signifie-t-il qu’ils sont prêts à s’engager personnellement et financièrement dans l’amélioration de la situation dans les quartiers ? Pas du tout !

Messieurs, vous n’aimez pas la police ? Rassurez-vous, la police ne vous aime pas non plus. Pourtant, cela ne justifie pas votre comportement. L’incitation à la violence est un crime puni par la loi. Quant à promettre une émeute en rejetant la faute sur l’autre sans plus d’arguments, cela ne fait que renforcer l’incompréhension entre les deux camps, donc les risques de violence. Les personnalités publiques, dont les artistes, ont un devoir de responsabilité dans leurs propos. Nul ne doit tirer à la légère, même en paroles, sur un policier, car au bout du compte, ce sont des vies humaines et des familles, les mêmes familles que celle défendue par MHD, qui sont en jeu.

Il est trop facile de publier une vidéo ou de répondre à une interview et d’attiser la « haine du flic » quand on sait que les policiers ont un devoir de réserve et ont l’interdiction de répondre à des questions face caméra par souci du secret professionnel. Cela revient à leur intenter un procès sans qu’ils puissent exposer leur défense. Un artiste n’a pas à jouer le rôle du procureur, encore moins celui du juge, l’IGPN est là pour ça.

L’interpellation filmée du frère de MHD pouvait susciter des doutes ? Une enquête a été ouverte et les policiers concernés seront sanctionnés si nécessaire. J’ai confiance dans la justice de mon pays, et dans le sérieux des investigations de l’IGPN. Chaque année, de nombreux cas de sanctions, jusqu’à la révocation, sont recensés suite à une intervention de ce service.

Dans le cas présent, je ne dis pas que la faute revient à l’un ou à l’autre, les torts sont sans doute partagés puisque le frère de MHD a été interpelé également dans cette affaire. Seulement, il ne faut pas être dans l’émotion et regarder les faits. Et si les faits ne sont pas satisfaisants, aller sur le terrain pour redresser la barre, plutôt qu’accuser systématiquement le camp adverse. Inutile de rajouter de la violence à la violence, des insultes aux insultes.

Dans ce cadre, je suis hautement favorable à la généralisation des caméras dans la panoplie de la police lors des interpellations : celles-ci ont une vertu pédagogique car elles modifient le ton des protagonistes et apaisent les comportements, aussi bien des personnes contrôlées lorsqu’elles se montrent agressives, que des policiers qui, sous la pression, pourraient tenir des propos ou avoir des gestes déplacés dans le cadre de leurs fonctions. Elles offrent en outre la possibilité de prouver les cas d’outrage et de s’assurer de la loyauté des agents en service, sans atteindre aux libertés individuelles puisqu’elles ne seraient utilisées que pour le temps des contrôles.

Pour ma part, malgré les attaques gratuites, verbales ou physiques, je m’évertue depuis plus de 25 ans à apaiser les tensions et à maintenir la communication entre les jeunes et la police. Je me suis parfois interposé entre policiers et jeunes des quartiers au cours d’émeutes, dans le cadre de ma mission auprès des jeunes, à Grigny en 2004 et à Corbeil-Essonnes en 2008. Avec mon ami Serge Dassault, nous avons travaillé de concert pendant 8 ans à Corbeil-Essonnes sur les problématiques de la jeunesse, car nous avions compris que l’avenir des quartiers dépendait d’elle. Et mon engagement n’a jamais faibli depuis.

Moi qui suis un ancien flic et un ancien instructeur du RAID, je bataille tous les jours avec mon association, Raid Aventure Organisation, pour essayer de maintenir le dialogue, pour proposer des temps et des lieux de rencontres, pour trouver des fonds afin que ces lieux puissent être entretenus et accueillir les jeunes dans les meilleures conditions. Quant aux équipes qui animent ces temps, elles sont composées exclusivement de policiers et gendarmes en activité ( CRS, PM: police municipale, CSI: compagnie de sécurisation et d’intervention,) pompiers, tous bénévoles.

MHD, M. Belattar, je n’ai peut-être que 300 followerssur les réseaux sociaux, mais mon association et moi, nous avons au moins le mérite de travailler concrètementau mieux vivre ensemble. Je vous invite donc tous les deux à venir sur un Prox’, le dispositif de village citoyen que nous avons créé, organisé par des policiers sur leur temps libre, afin d’établir des moments privilégiés pour dialoguer, répondre aux questions réciproques et lever les malentendus. Vous pourrez vous rendre compte de nos efforts par vous-mêmes.

Les initiatives pour éviter les émeutes, la montée de la haine, de l’esprit de représailles et pour ramener de la solidarité et de la citoyenneté dans ces quartiers existent, elles sont nombreuses et doivent être soutenues, par l’État mais aussi par les personnalités qui peuvent leur faire bénéficier de leur notoriété. Elles relèvent de notre responsabilité à tous, tout comme cela relève de notre responsabilité de modérer notre discours, dans ce monde du tout-communication, où une simple phrase irréfléchie peut faire l’effet d’une bombe, parfois bien réelle celle-ci. La première mission des forces de l’ordre est de protéger, mais pour l’accomplir, elles ont besoin d’être respectée en tant que porteuses de l’autorité de la République.

Vous autres, chanteur et humoriste célèbres, qui travaillez avec les mots et savez quel impact ils peuvent avoir, vous devriez être d’autant plus sensibles à la portée des vôtres car ce que des actions menées pendant des années ont construit, une seule phrase inconsidérée, prononcée sous le coup de l’émotion par une personne comme vous à laquelle toute une génération s’identifie, peut le réduire à néant.

Bruno POMART
– Maire sans étiquette de la commune de Belfou dans l’Aude
– Président et fondateur de l’association Raid Aventure Organisation www.raid-aventure.org
– Ex-policier du Raid – Police Nationale – Chevalier de la Légion d’honneur – Chevalier de l’ordre National du mérite
– Auteur du livre « Flic d’élite dans les cités »