Police de sécurité du quotidien : (En apparence) de bonnes intentions mais (en réalité) rien de nouveau !

Le 9 novembre 2017 dernier , Gérard Collomb a présenté devant un parterre d’acteurs de la sécurité l’une des mesures-phares du Président Macron : l’instauration d’une Police de Sécurité du Quotidien. Celle-ci a fait l’objet d’une concertation jusqu’au 20 décembre, puis d’une expérimentation au sein « d’un panel de villes représentatives de la France », avant une éventuelle généralisation.

Lors de son discours du mardi 14 novembre dernier , le chef de l’Etat s’est longuement étendu sur la sécurité dans les quartiers avec notamment, la mise en place d’une police de sécurité du quotidien

Cette police n’est pas sans réveiller le spectre de la Police de Proximité lancée sous le gouvernement Jospin, dont la mise en oeuvre bâclée et sans trop de moyens s’est révélée désastreuse au point d’être aussitôt enterrée lors de l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy. Ce dernier n’a pas eu de mots assez durs pour condamner ce dispositif. On se souvient tous de cette phrase assassine prononcée lors d’ un match de football organis é par des policiers toulousains à destination des jeunes des quartiers : « vous n’êtes pas des travailleurs sociaux ». Et d’imposer par la suite une culture du chiffre et du résultat conduisant à une fracture toujours plus grande entre les populations et les services de police. En outre, cette fracture s’est accompagnée d’une dégradation des conditions matérielles de service, ainsi que d’un découragement, voire d’un désespoir des agents.

Après ce coup médiatique, Michèle Alliot-Marie a tenté de créer les UTeQ (Unités Territoriales de Quartier) suite aux émeutes de Villiers-le-Bel en 2008, supprimées dès son départ du Ministère de l’Intérieur et remplacées par son successeur Brice Hortefeux par les « Brigades Spéciales de Terrain », des unités guerrières tout aussi infructueuses et non-acceptées dans les quartiers. Aujourd’hui, Emmanuel Macron propose la Police de Sécurité du Quotidien : sera-t-elle plus efficace et avec quels moyens ?

Certes, la mission première des policiers et gendarmes n’est pas de jouer les éducateurs spécialisé s. Cependant, les services de sécurité ne peuvent se passer de contact avec la population, car ils sont avant tout au service du public, et non pas au service de la répression. Leur mission, comme certains se sont plu à le faire croire ces dernières années, ne peut pas se limiter à contrôler, verbaliser, arrêter et sanctionner, bref, user d’un mode de communication unilaté ral o ù l’agent exige et le citoyen est tenu d’obéir.

Le malaise des acteurs de terrain est toujours plus grand et semble même avoir atteint son paroxysme. Depuis le début de l’année 2017, 45 policiers et 16 gendarmes se sont donnés la mort. Les policiers, qui au quotidien sont confrontés à la mis ère humaine, à la violence souffrent d’un cruel manque de reconnaissance, d’une régression de la confiance entre police et populations et d’une crise de légitimité.

Avant toute chose, policiers et gendarmes ont besoin de retrouver cette légitimité de manière concrète, non pas seulement légale, et de redonner du sens à leur mission, afin de revenir à une exemplarité sans faille, de restaurer la confiance avec les citoyens, en particulier dans les zones sensibles, tout en réduisant leur stress au quotidien et en rétablissant un plaisir du métier et du devoir accompli. Nul ne peut effectuer correctement son travail s’il n’en ressent que l’absurdité, voire l’ inutilit é.

Le président Macron prévoit en parallèle une réforme des procédures pénales qui permettra aux fonctionnaires de police de sanctionner directement certains infractions, telles que la consommation de cannabis , à l’instar de ce qui existait déjà pour celles concernant le Code de la Route. Le but de cette réforme serait de « désengorger les tribunaux qui croulent sous les procédures de moindre importance là où la délinquance est déjà trop élevée ». Cependant, est-ce réellement une bonne idée de remplacer les juges par des policiers , quand on affirme vouloir créer une relation de confiance entre les habitants des quartiers sensibles et la police ? Et quelles seront les instances de contrôle de l’application de ces nouvelles sanctions ? Les policiers ne risquent-ils pas une fois de plus d’être accusés d’abus de pouvoir au moindre débordement, avec toutes les conséquences morales et administratives que cela suppose pour ces agents déjà sous pression, à bout de nerfs, et recevant peu de soutien de leur hié rarchie ?

M. Macron ajoute à cela une idée « lumineuse » : la Police de Sécurité du Quotidien devra permettre, sous le contrôle d’un juge, « l’éloignement des jeunes dont on sait qu’ils produisent des nuisances et qu’ils rendent la vie des quartiers insupportables. » Les éloigner, mais pour les mettre o ù ? Et c’est comme ç a qu ’on est censé régler le problème de la dé linquance ? En la dépla ç ant loin des yeux ? Mesure absurde, infaisable dans la pratique et sur le terrain, illégale selon moi, voire, inconstitutionnelle.

La mise en pratique de la Police de Sécurité du Quotidien envisagée par le gouvernement elle-même pose de nombreuses questions : la première et la plus importante, avec quels effectifs M. Macron et M. Collomb comptent-ils pourvoir cette police ? Avec les 10 000 postes promis par notre Président ? Mais ces postes suffiront tout juste à remplacer les départs en retraite ! Il est ainsi à craindre que certains services soient ponctionnées en moyens humains et se retrouvent encore plus en difficulté uniquement pour assurer cette nouvelle mission, alors que les services existants demandent déjà depuis des années d’être déchargés de nombreuses tâches « indues », administratives et procédurales qui prennent sur leur temps d’action de terrain. De plus, se pose également la question de la formation de ces agents à cette nouvelle mission. Et bien sûr, celle du budget.

On voudrait nous faire croire que l’Etat serait capable de sortir 1,1 milliards d’euros (estimation d’un organisme indépendant) de ses poches pour ce nouveau service à l’heure où il s’assumedans une logique de réduction du déficit public, que l’annulation de 850 millions d’euros de crédits pour l’armé e en 2017 a entra îné la d émission du chef d’Etat-Major Pierre de Villiers, et o ùles élus ont découvert avec surprise l’annulation unilatérale et autoritaire de près de 300 millions d’euros de dotations en crédits de paiement de l’Etat toujours pour le même exercice. Là encore, s’il s’agit de rogner sur certains budgets pour en financer d’autres, ce n’est pas la solution.

Les politiques français feraient bien de prendre en compte les besoins réels des fonctionnaires de police et des citoyens en matière de sécurité, afin que toute cette opération ne soit pas que de la poudre aux yeux. Une réforme des services de sécurité est nécessaire afin d’harmoniser la collaboration entre les services , notamment sur le plan du renseignement, mais il est également nécessaire que l’État se donne les moyens d’assurer sa sécurité au niveau local, en favorisant des politiques de la ville efficaces et coordonnées avec tous les acteurs de la citoyenneté et de la cohésion sociale déjà en place , non seulement les associations et les services sociaux, mais également les citoyens eux-mêmes.

Mais cela ne pourra se faire que si le climat entre les citoyens et les forces de l’ordre se pacifie. Un service de proximité est sans conteste primordial pour atteindre les populations qui détestent les flics : en remettant une relation humaine au centre du dispositif, certaines personnes seront amenées à revoir leur position, ou à faire une exception dans leur jugement avec ce policier qu’ils connaîtront bien, et ainsi fournir des renseignements précieux, entre autres en termes deprévention de la radicalisation et de la dé linquance, de plus en plus fréquente chez les mineurs adolescents, dont la crise non-canalisée se manifeste par des détériorations, des destructions et une envie de « faire chier » plus seulement leurs parents, mais la société en général.

Les politiques, à force d’oublier certaines franges de la population, contribuent largement au creusement de la fracture entre autorités et populations : il importerait de remettre l’humain au centre des préoccupations, sans stigmatiser ni les habitants des quartiers, ni les policiers qui ont le courage de les fréquenter tous les jours. Fermer les « structures inacceptables » et rétablir les « comportements républicains », dans les mots, c’est bien joli, annoncer des plans de lutte contre la radicalisation également, mais tout ceci sera voué à l’échec sans un solide appui des acteurs locaux, implantés dans la durée, qui connaissent les jeunes et les accompagnent réellement au quotidien, dans une approche éducative et pédagogique reconnue. Cependant, ces acteurs doivent eux-mêmes être accompagnés par un État conscient de leur valeur, qui leur donne les moyens d’agir et les met en relation pour de meilleurs résultats auprès de l’ensemble de la population, pas en écartant systématiquement les brebis galeuses.

Le travail des associations est phénoménal dans beaucoup de quartiers, il participe au lien social, au désamorçage des violences, et au développement humain et comportemental des jeunes, fondamental pour intégrer une entreprise ou encore participer à la paix sociale. Or M. Macron veut en finir avec le système des subventions : quelle est cette politique qui affiche son soutien aux entreprises et aux associations mais leur retire, en tout cas pour ces dernières, leur principal moyen de subsistance, et donc d’action ?!

La prévention et l’occupation du terrain sont essentiels pour lutter contre ceux qui l’ont envahi à des fins d’endoctrinement, avec un fort travail éducatif et social auprès des jeunes. Le « plan national » et la quinzaine de plans locaux de lutte contre la radicalisation prévus par le gouvernement ne sont pour le moment que des mots , or l’urgence est déjà là et les acteurs déjà présents et à disposition des instances républicaines, pour peu qu’elles leur accorde la possibilité financière de poursuivre leurs actions. Si, apr ès avoir abandonné leur police, l’État abandonne aussi les associations, la lutte contre le terrorisme sera un fléau sans fin, car le terreau de la radicalisation n’ en sera qu  aliment é.

Mener une politique de la ville intelligente permettrait d’agir concomitamment sur la sécurité, l’emploi, la cohésion sociale et l’éducation, car tous ces domaines sont liés. Et le pivot entre toutes ces thématiques est clair : c’est la jeunesse. Les mesures politiques censées favoriser l’emploi des jeunes, telles que les Emplois Francs tentés par François Hollande, ont tourné court car le préalable à leur emploi, c’est la formation aux savoir-être : une entreprise n’embauchera pas un jeune qui ne sait pas s’exprimer poliment et correctement, ne se tient pas de manière appropriée en public, et ne sait pas contrôler son caractère dans une situation hiérarchisée. Or cette compétence s’acquiert en grande partie par le travail en groupe et les activités sportives et culturelles. L’école ne peut pas entièrement assumer cette formation, car elle a déjà fort à faire avec l’apprentissage des savoirs fondamentaux, c’est là qu’interviennent les associations et les structures d’éducation populaire, chacune à leur échelle et à leur rythme.

Cinq millions de personnes habitent dans les 1514 quartiers les plus pauvres, appelés « quartiers de la politique de la ville ». À 25 ans, le taux de chômage y est 2,5 fois plus élevé que dans le reste de la France, et les accès à l’emploi, aux soins et aux services municipaux y sont considérablement restreints.

Il faut donc arrêter de croire aux solutions miracles : la Police de Sécurité du Quotidien ne sera pas un pansement à effet immé diat , non plus que les actions ponctuelles à destination de la jeunesse. Et ne parlons pas de certaines actions de sécurisation menées par les CRS ou les compagnies de gendarmerie mobile sur des périodes restreintes, qui ne font que détériorer l’image de l’autorité et saper le travail de la police de proximité dans ces quartiers à cause de comportements limites, voire répréhensibles de la part d’agents à bout de nerfs. C’est un travail de fourmis qui nous attend tous, chacun à notre niveau. La citoyenneté , la coh ésion sociale et l’encadrement de la jeunesse sont des travaux de longue haleine, et qui ne prendront jamais fin.Cloisonner les responsabilités ne conduit qu’à toujours plus de violence et d’incompréhension : il nous faut agir ensemble, de manière réflé chie, coordonn ée, et inscrite dans la durée – plus longue que celle d’un mandat électoral.

C’est avec cette idée de maintenir un contact constant et humain entre police et populations, mais aussi de faire participer tous les acteurs locaux aux événements proposés aux enfants et adolescents, que j’ ai cr éé le dispositif Prox’Aventure, au sein de l’association Raid Aventure Organisation, dont l’initiative est plé biscit ée par de nombreux élus de toutes tendances, preuve de son intérêt éducatif et pédagogique. Avec tous ses membres, des agents de la sécurité issus de tous les services (CSI, BAC, CRS, Police Secours etc.) et bénévoles, et les associations locales, nous nous engageons sur des animations citoyennes pour sensibiliser les jeunes aux problématiques qui les touchent, telles que le harcèlement de rue, les violences scolaires ou encore les dangers d’Internet, mais aussi sur des manifestations sportives qui sont un vecteur efficace d’apprentissage du respect de l’autre, de la solidarité et de l’esprit d’é quipe.

Je souhaite qu’au cours de cette concertation sur la mise en pratique de cette Police de Sécurité du Quotidien et de l’ensemble des mesures sécuritaires du Président Macron, l’ensemble des facteurs et des acteurs de la sécurité soient pris en considération, que l’humain et l’intérêt général soient véritablement au centre des débats, en dehors des chiffres de toutes sortes. La sécurité est l’affaire de tous, les policiers et les gendarmes n’en sont que les représentants visibles, mais ce sont avant tout des citoyens qui aspirent à leur propre sécurité et à la reconnaissance de leur métier.Il serait temps de pouvoir fredonner « J’ai embrassé un flic » de Renaud sans que ce refrain n’apparaisse comme une revendication individuelle exceptionnelle, pour la bonne raison que cet acte de remerciement serait devenu normal et bienveillant.

« Quand les hommes ne peuvent plus changer les choses, ils changent les mots. » Jean Jaurès

Bruno POMART
– Maire sans étiquette de la commune de Belfou dans l’Aude
– Président et fondateur de l’association Raid Aventure Organisation www.raid-aventure.org
– Ex-policier du Raid – Police Nationale – Chevalier de la Légion d’honneur – Chevalier de l’ordre National du mérite
– Auteur du livre « Flic d’élite dans les cités »