
Bruno POMART
- Ex-policier du Raid, Police Nationale – Major de Police
- Maire sans étiquette de la commune de Belflou dans l’Aude
- Président et fondateur de l’association Raid Aventure Organisation

Philippe PASCOT
- Écrivain, et ancien homme politique
- Auteur du livre “Mensonges d’état” – septembre 2019 aux éditions Max Milo
- Chevalier des Arts et des Lettres
Interview, regards croisés
Que pensez-vous de l’évolution du mouvement des Gilets Jaunes ?
Bruno Pomart : À l’aube de l’Acte 51 des « Gilets Jaunes », que reste-t-il de la pureté et de la légitimité des revendications des débuts ? Malheureusement pas grand-chose. Aujourd’hui, quand ce mouvement est évoqué, dans les médias ou entre de nombreux citoyens français, seule la violence revient, comme un leitmotiv.
De moins en moins nombreux, les manifestants qui continuent de se rassembler les samedis au nom du « pouvoir d’achat » – alors même que les casseurs présents parmi eux ont causé beaucoup de souffrances et d’énormes dommages à l’économie française, donc au pouvoir d’achat des riverains, commerçants, restaurateurs, etc. –, sont aussi, vous ne pourrez le nier, mon cher Philippe Pascot, de plus en plus radicaux dans leur propos et dans leur comportement.
Philippe Pascot : N’oublions jamais que le mouvement des Gilets Jaunes n’a pas encore un an. Cela fait 40 ans et plus que les politiques (pas tous) et les lobbies, de plus en plus puissants, nous infantilisent, nous manipulent, nous asservissent, se servent de nous comme d’une immense vache à lait dans le seul but d’engranger un pouvoir illusoire pour certains et des profits aussi gargantuesques qu’inutiles pour les autres.
Le mouvement spontané et disparate des Gilets Jaunes du 17 novembre est en train de se modeler, de se dessiner, de s’enjoliver, de s’anoblir pour devenir un mouvement citoyen. Partout en France, les collectifs se montent, les associations se forment, les regroupements se structurent pour mettre en évidence la prise de conscience politique simple et de bon sens qui n’est en réalité que l’émergence d’une salubrité publique et populaire.
Que les hautes sphères ne se réjouissent pas trop vite : s’il est vrai que nous venons de passer une période de reflux estival, la deuxième vague du tsunami créé par les Gilets Jaunes risque fort d’être encore plus haute que la première.
Mon cher Bruno Pomart, 99,9 % des manifestants sont des gens pacifiques qui ne demandent qu’un peu plus de justice sociale et fiscale. Il doit y en avoir la même proportion dans les effectifs des forces de l’ordre. Ces 0,1% de casseurs d’un côté et de matraqueurs sadiques de l’autre ont malheureusement sans doute un point commun : pour l’essentiel, un gouvernement qui n’a comme mode d’écoute que l’organisation de la répression.
Comment décririez-vous le comportement des forces de l’ordre face aux manifestants ?
Bruno POMART : Face à eux, les forces de police ont été obligées de s’adapter, de mettre à jour leurs méthodes, toujours à tort si l’on se fie à une certaine frange de l’opinion. Quand ils ont tardé à réagir lors des premières dégradations, on les a accusées de « laisser-faire », quand elles ont réagi en faisant preuve de la force que la loi les autorise à employer, c’est le credo des « violences policières » qui a pris le dessus. D’ordre en contrordre, régis tous deux par la crainte du nouvel ordre médiatique, de la réputation, de l’image à préserver à tout prix, et la peur du procès, l’action policière a certes été retardée, puis critiquée à de nombreuses reprises, mais elle restait et reste toujours légitime car, n’en déplaise à ceux qui accusent les policiers d’être « le bras armé » ou la « milice » du gouvernement, leur mission première et – je le répète – encadrée par la loi, demeure la protection des populations.
Philippe PASCOT : La protection des populations n’oblige pas à tirer à bout portant dans la tête de manifestants pacifiques et sans défense avec, de plus, une arme de guerre. Sur plus d’une quarantaine de manifestants énucléés, combien de terroristes avez-vous recensés ? Combien d’individus les armes à la main ? Le prétexte du maintien de l’ordre n’excuse pas tout, et sûrement pas le sadisme avoué et revendiqué (pas de chance, des vidéos existent) par certains fonctionnaires de police qui se croient sur un stand de tir aux pigeons parce qu’ils savent qu’ils seront couvert par une hiérarchie servile et pleutre, elle-même encouragée par le pouvoir politique en place.
Quid des scènes de violences observées des deux côtés ?
Bruno POMART : De nos jours, les attaques ne visent plus – ou très peu – les hommes derrière l’uniforme, elles visent l’uniforme directement, et à travers lui l’autorité de l’État et le respect de ses institutions. C’est la première fois, dans toute notre Histoire, pourtant émaillée de nombreux conflits sociaux et sociétaux, que cette autorité est ainsi bafouée, et de façon aussi systématique.
Comble de l’absurde, alors que les piliers de la République sont mis à mal, les manifestants voudraient être confrontés à des policiers « sympas », non armés, « au même niveau qu’eux ». Mais de par sa fonction-même et dans l’exercice de celle-ci, un policier ne peut pas être considéré comme un citoyen comme les autres puisqu’il est le détenteur légal de cette autorité et que, contrairement à tout citoyen, sous certaines conditions bien définies, il possède le droit, ainsi, ne l’oublions pas, que toutes les responsabilités morales, administratives et juridiques, de faire usage de la force.
Que les vraies « violences policières » soient condamnées, c’est tout à fait normal. Taxer de « violences policières » le simple exercice de son métier, c’est un abus de langage auquel vous serez sensible, j’en suis persuadé, M. Pascot, en votre qualité de Chevalier des Arts et des Lettres. De plus, pas seulement au cours des manifestations, des raisons et des motivations sont sans cesse demandées aux policiers qui effectuent des actes censés relever de la routine (contrôles d’identité ou du permis de conduire, par exemple). J’entends souvent dire à ces occasions « Pourquoi moi ? Pourquoi pas l’autre ? », or un policier n’a pas à se justifier de contrôler et ne peut pas contrôler tous les gens qu’il croise pour faire plaisir à celui qui le lui demande.
Philippe PASCOT : J’ai un peu de mal à saisir le rapport entre le fait que je sois Chevalier des Arts et des Lettres et les violences policières… Sans doute un effet collatéral de la novlangue politique mis en place depuis mai 2017. Cette langue de bois qui nous demande de prendre des vessies pour des lanternes en nous expliquant le plus sérieusement du monde que si nous n’arrivons pas à joindre les deux bouts, c’est que nous ne savons pas gérer le peu de budget que l’on nous accorde. Ce langage, aujourd’hui courant, qui nous prend pour des biquettes en nous expliquant, avec la pédagogie méprisante de ceux qui savent, que le ruissellement ou le fait de traverser la rue permet de résoudre tous les problèmes.
Oui, Bruno Pomart, il y a des violences et des deux cotés. Mais la véritable violence, celle qui engendre et favorise les pavés que l’on lance ou les coups de matraques que l’on donne, elle est au dessus, bien au dessus La vrai violence, responsable du reste, c’est celle de nos politiques et dirigeants qui favorisent les uns, méprisent les autres, ou pire encore laissent faire. Ils regardent le peuple se déchirer, se tirer dessus sur le pavé, alors qu’eux-mêmes sont bien calfeutrés dans les dorures de la République et se régalent d’ortolans ou de homards pendant que le peuple bouffe du gaz lacrymogène à tire-larigot et que les forces de l’ordre mangent des rations militaires à la date de péremption trafiquée dans l’espace exigu de leurs camions CRS hors d’âge.
Comment expliquez-vous une telle inimitié entre manifestants et forces de police ?
Bruno POMART : Mon sentiment est que nous vivons dans une société où les modes d’éducation ont changé : désormais, l’autorité brute est refusée, tout le monde a besoin d’explications tout le temps. Ceci est très certainement bénéfique dans la sphère privée, où l’adoption de ces nouvelles méthodes par les parents favorise l’autonomie et la responsabilisation de l’enfant, mais cela n’a pas lieu d’être en présence de la police quand elle est en cours de mission, parce que l’affaire de la police dans ces circonstances n’est pas l’éducation des populations, mais encore une fois, leur protection. Si un travail de communication et d’information peut être mené dans le cadre de journées citoyennes ou d’interventions dans les écoles et autres lieux, sièges, eux, de l’éducation, celui-ci est impossible, et même inconcevable, à mettre en œuvre au sein d’une manifestation ou lors d’une interpellation. On ne parle calmement qu’à des personnes calmes : les manifestants sont rarement, et de moins en moins, dans cet état d’esprit.
Philippe PASCOT : C’est ce que voudrait instaurer le cabinet noir manipulateur du gouvernement. Pendant que les petits se battent entre eux, on fout la paix aux gros. Refrain bien connu et bien pratique pour détourner l’attention des vrais problèmes et des vraies solutions. Encore une fois, je vous le redis, de part et d’autres, il n’y a que quelques casseurs chez les Gilets Jaunes et quelques sadiques parmi les policiers. C’est seulement l’exploitation massive, manipulatoire et médiatique de ces faits délictueux qui font que la détestation réciproque augmente. La colère se dirige alors vers l’ensemble des forces de l’ordre plutôt que vers les véritables donneurs d’ordre.
Le gouvernement applique la même technique pour faire croire que le déficit de la Sécurité Sociale est le fait des Gilets Jaunes ou que les avantages des cheminots ou des agents de la RATP sont un facteur aggravant pour le maintien d’une retraite décente pour tous. J’explique de façon factuelle et irréfutable le processus de manipulation massive dans mon dernier livre Mensonges d’État.
Policiers et manifestants sont-ils donc irréconciliables ?
Bruno POMART : Cette opposition dualiste entre policiers et manifestants est affligeante à mes yeux, car le mouvement des « Gilets Jaunes » partait d’un sentiment sincère, d’un mal profond qui trouvait enfin un moyen de s’exprimer, et d’un formidable élan de solidarité entre des personnes qui vivaient les mêmes « galères » au quotidien. Mais le chaos couvait en leur sein et ce bel enthousiasme s’est torpillé de lui-même par l’émergence de personnalités à forts ego, incapables de se mettre d’accord entre elles pour structurer ce mouvement et faire corps face au gouvernement.
Dans les faits, celui-ci n’est donc resté pacifique et bon enfant que jusqu’à ce que certains, voyant que les destructions opérées par les membres du mouvement blackblock infiltrés parmi leurs cortèges avaient plus d’impact sur l’intérêt que le gouvernement leur portait – et c’est sans doute l’un de ses torts et l’une de ses plus grosses erreurs de communication –, passent une sorte de « pacte de partenariat » avec eux et commencent à constituer les « ultra-jaunes », ceux qui disent rester « fidèles » au mouvement aujourd’hui. En les laissant prendre le dessus vis-à-vis de leur cause, ils l’ont complètement desservie, au point que peu de gens se souviennent encore des motifs réels des premières manifestations.
Ce que je regrette le plus, dans cette montée de la violence et des radicalismes, c’est que des têtes pensantes, des « têtes bien faites », absolument pas portées vers ce genre d’extrêmes en temps normal, des gens tels que vous, Philippe Pascot, n’aient pas pris position beaucoup plus tôt et de façon beaucoup plus nette contre ces dérives. Vous saviez, vous intellectuels, à quel point ce pacte était dangereux – et vous l’avez expérimenté à vos dépens lors du contre-G7, où l’un de ces activistes antisystème vous a pris pour cible avec un couteau ! Dès lors, pourquoi ne pas avoir profité de votre vitrine médiatique et de votre rôle d’influenceur pour tirer le signal d’alarme ? Pire encore, d’avoir appelé sur un plateau de télévision à ce que « les guérillas urbaines du week-end soient transposées en semaine » ?
Vous êtes un auteur, reconnu par ses pairs, décoré par l’État, et vous vendez des milliers de livres sur des sujets ô combien importants pour la santé de notre société, comme les délits des élus, les petits arrangements du pouvoir et autres magouilles politiciennes. Comment pouvez-vous utiliser ainsi les mots « à la légère », alors même que vous savez pertinemment que chacune de vos interventions publiques sera allègrement diffusée et commentée par toute une communauté d’internautes ? Si vous réclamez des élus qu’ils respectent leur devoir d’exemplarité, je crois que vous devriez vous aussi montrer cet exemple, en tant que personnalité publique et en tant que l’homme intelligent et sensé que je connais. Il en va de notre responsabilité à vous et moi, élu et penseur : nos rôles auprès de la jeunesse qui nous écoute et nous scrute n’est pas si éloigné.
Quand j’entends à présent que les « Gilets Jaunes » restants tentent de se rapprocher de la « Marche pour le climat » et tentent d’instiller cet esprit de révolution par la violence, parce que selon eux, c’est « la seule qui fonctionne », cela achève de me révolter. Oui, l’écologie dans toutes ses dimensions sociales, sociétales, environnementales, politiques et économiques mérite que l’on se batte pour elle, mais pas de la façon dont se battent désormais les « Gilets Jaunes », pas selon des méthodes perverses qui décrédibilisent et retirent toute noblesse à la cause défendue. La « convergence des luttes », je veux bien, mais pas à n’importe quel prix.
Philippe PASCOT : Cher Bruno Pomart, vous n’arriverez pas à me faire dire que je soutiens les casseurs et autres malfrats (payés ?), destructeurs de la cohésion pacifique. Je le dis souvent lors de mes conférences à travers toute la France : c’est vrai, quand un individu vous a trompé, berné, trahi, lui mettre un gros pain bien envoyé dans la tête soulage énormément. Sur le moment cela fait du bien et malgré la petite douleur dans la main vengeresse, une immense joie vous envahit instantanément devant la tête ratatinée de votre bourreau. Mais cette satisfaction fugace et éphémère n’aboutit JAMAIS sur quoi que ce soit de pérenne. On récolte un petit pansement sur les doigts endoloris, un séjour à l’hosto pour le cabossé, des ennuis judiciaires et tutti quanti pour le reste.
La casse des uns et la frappe des autres ne sont qu’une excuse pour ouvrir un peu plus la porte à une répression qui ne veut pas dire son nom. La sacro-sainte sécurité des biens et des personnes ne sert plus aujourd’hui qu’à protéger une petite caste hors-sol. Ces individus sans scrupules et drapés dans leurs certitudes absconses n’ont d’autre recours pour affirmer leur pseudo-autorité « divine », que d’envoyer au casse-pipe la police et les gendarmes, avec pour seule mission indigne et injustifiée la répression massive d’une population en souffrance. Mettre en garde à vue sans motif de délit, verbaliser pour rien, prendre en nasse sans comprendre, frapper sans discernement un vieux, un jeune, un enfant, tous ces actes, ces ordres donnés par des chefs serviles et ou sadiques n’ont rien à voir avec l’essence de leur métier. Comment peuvent-ils en rentrant le soir regarder dans les yeux leur femmes, leurs gosses, leurs mères, qu’un autre « collègue » a peut-être matraqué, éborgné dans la même journée ? Le mépris pour les forces de l’ordre qui ne sont que des pions pour nos politiques est aussi grand que celui affiché pour la population : 44 éborgnés, 51 suicides. La détresse et la souffrance ne sont pas l’apanage d’un seul camp.
Par contre, quand je parlais de « guérilla urbaine en semaine », cher Bruno, je suggérais plutôt des actions pacifiques et redondantes, paralysantes pour le système. Nous avons assez de bouteille l’un et l’autre pour savoir que se battre c’est aussi sans les poings.
Nous mûrissons gentiment mais rapidement à l’ombre des tonfas et du mépris affiché gouvernemental. Dernièrement un centre commercial du coté de la place d’Italie, une enseigne de café ne payant que très peu d’impôt, une enseigne de fast-food, négrier des temps modernes et grand pourvoyeur d’obèses en devenir, ainsi que des péages autoroutiers ont reçu la visite pacifique de groupements citoyens. Cette guérilla urbaine pacifique ne fait que commencer.
Nous sommes le nombre, nous voulons juste vivre et non survivre.
Bruno, pourquoi n’écoutent-ils pas ?