La Purge : Comment la violence gratuite peut-elle devenir un sujet de « blague » ?!

Alors que les violences en milieu scolaire animent le débat public, notre société connaît une panne dans la transmission des valeurs d’autorité et de respect. Après la vidéo de ce jeune braquant son professeur avec une arme factice, il n’aura pas fallu longtemps avant qu’un autre post scandaleux apparaisse sur les réseaux sociaux et mette toute la France en émoi, tout ceci à cause d’une « blague ».

Franchement, que l’on m’explique : où est le plaisir, qu’est-ce qui est censé faire rire dans le fait d’agresser une enseignante ou dans celui d’appeler à une « purge » le soir d’Halloween ? Comment peut-on laisser des jeunes prendre pour modèle, et au premier degré, des films d’une violence absolue, tels que The Purge (American Nightmare, dans la version française), dont le pitch repose sur une nuit par an, où tous les crimes sont permis et impunis afin que les individus se purgent de leurs pulsions violentes ? Outre l’absence d’éducation à l’image, qui aurait dû leur montrer la dimension critique et cathartique d’un tel scénario, ces comportements sont symptomatiques de notre époque individualiste.

Ce dernier peut avoir de bons côtés, à condition d’être canalisé. Favoriser le développement de l’individu est en effet profitable à la société et à celui-ci ; en revanche livrer cet individu à lui-même parmi une foule d’autres individus livrés à eux-mêmes, sans direction commune clairement définie et sans écoute de ses besoins peut se révéler extrêmement dangereux. L’individualité virtuelle livrée à elle-même l’est encore plus car elle est moins repérable que dans la réalité. Un jeune en échec scolaire est visible, un jeune qui incite à la violence et au meurtre derrière son écran l’est beaucoup moins.

De plus, cette virtualité déconnecte certains jeunes des valeurs essentielles du vivre ensemble, en leur donnant l’impression de vivre comme dans un jeu vidéo. Sauf que dans la réalité, les balles, les coups de poings ou de couteau font de vrais dégâts et détruisent des familles entières, pendant que les réseaux sociaux se gargarisent du buzz médiatique.

C’est le grand paradoxe d’Internet, qui en nous reliant virtuellement à l’ensemble de l’humanité peut aussi nous délier de la communauté réelle dans laquelle nous vivons, et d’une partie de notre sens des responsabilités. Il est heureux que le jeune de Grenoble qui a lancé les règles de la « purge » en ait conservé suffisamment pour publier un démenti et se livrer à la police. Mais ce n’est pas le cas des incitateurs de Corbeil-Essonnes, dont la menace, apparemment en représailles à l’interdiction de tourner un clip de rap, semblait beaucoup plus sérieuse et qui, eux, ont été tracés et arrêtés. Comme si le seuil de vigilance de nos forces de l’ordre n’était pas déjà à son maximum, cette soirée d’Halloween promet malgré ces arrestations d’accroître encore la tension nerveuse dans les services.

Cela fait des années que de nombreux experts et associations de proximité, dont Raid Aventure Organisation que je préside, tirent le signal d’alarme sur la montée de ces violences et de cette « normalisation » dont elles font l’objet et qui fournit cet atroce motif de « jeu ». Cela fait autant d’années que tous et toutes se proposent de conseiller et d’agir avec l’État pour aller vers plus d’efficacité. Mais durant tout ce temps, les gouvernements leur ont répondu par des chiffres de la criminalité inchangés, voire en baisse, et des « plans d’action » bureaucratiques. Il aura fallu attendre que 8 adolescents de région parisienne se fassent tuer dans des rixes entre bandes rivales en l’espace de quelques mois, et que de tels « canulars » voient le jour, pour que les plus hautes autorités réagissent, et encore…

Les Ministres de l’Intérieur et de l’Éducation Nationale assurent avoir pris la mesure du phénomène et, suite à la tenue d’un « comité stratégique » le vendredi 26 octobre, ils devaient présenter ensemble une série de mesures en Conseil des Ministres le mardi 30 octobre, mais cette annonce a été reportée pour cause de désaccord sur la façon de traiter le problème.

Christophe Castaner prône une meilleure coopération entre les forces de l’ordre, la justice et l’Éducation Nationale, souhaite renforcer la présence policière aux abords des établissement, ne l’exclut pas à l’intérieur à des moments ciblés et avec l’accord du chef d’établissement, et prévoit une approche quartier par quartier plutôt qu’une circulaire nationale, ceci afin de « sanctuariser » l’école et empêcher les problèmes de l’extérieur d’y pénétrer, mais avec quels moyens financiers et humains ? Nul ne le sait.

Quant à Jean-Michel Blanquer, il a évoqué la question du signalement systématique des faits, des sanctions éducatives proportionnées, qui n’entreraient plus en ligne de compte dans la notation des établissements afin d’éviter les effets d’une mauvaise réputation, et le renforcement des équipes mobiles de sécurité, composées de membres de l’Éducation Nationale formés aux questions de sécurité et chargés d’accompagner les établissements où règnent de fortes tensions ou d’améliorer la prise en charge d’élèves à la conduite préoccupante. Leur mission pourrait être étendue au suivi des élèves « poly-exclus », ces élèves renvoyés d’établissement en établissement pour les mêmes faits graves, dont l’Éducation Nationale ne sait pas quoi faire et qui gangrènent les classes qu’ils traversent par leur comportement.

Tout le monde espérait que Jean-Michel Blanquer, déjà confronté au problème des violences scolaires alors qu’il était le numéro deux de l’Éducation Nationale aux côtés de Luc Châtel sous le second quinquennat Sarkozy, saurait s’inspirer des conclusions de son prédécesseur et surtout obtenir de meilleurs résultats, et que Christophe Castaner saurait appuyer sa conception de la coopération école-police sur le précédent de l’action conjointe menée par Jack Lang (Ministre de l’Éducation Nationale) et Paul Quilès (Ministre de l’Intérieur) en 1992, en gardant le bon et en écartant le mauvais.

Malheureusement, selon moi, la posture et la mobilisation politique face à ces affaires, ont été adoptées à chaud, dans l’urgence et sans concertation, non seulement entre les ministères, mais aussi avec les syndicats, alors que tout ministre, même le plus volontaire, doit composer avec eux. Or les vieilles réticences des « purs » de l’Éducation Nationale ont la vie dure face au tour de vis sécuritaire souhaité par l’Intérieur, et la lutte pour faire admettre que l’Éducation Nationale ne peut être la seule dépositaire de l’autorité à l’école est loin d’être gagnée.

L’hyperviolence des jeunes réclame des réponses immédiates, fermes et efficaces. L’État ne peut agir seul, car il n’a plus la confiance de ces jeunes. Pourtant, là encore, il n’est jamais question d’accepter l’aide que le monde associatif de proximité pourrait procurer aux établissements scolaires. C’est pourtant le seul à conserver un peu de la confiance de ces jeunes, confiance qui est la base de toute relation saine et de tout développement d’un individu citoyen.

Bruno POMART
– Maire sans étiquette de la commune de Belfou dans l’Aude
– Président et fondateur de l’association Raid Aventure Organisation www.raid-aventure.org
– Ex-policier du Raid – Police Nationale – Chevalier de la Légion d’honneur – Chevalier de l’ordre National du mérite
– Auteur du livre « Flic d’élite dans les cités »