Tribune publiée dans le Monde le 30 mai 2018
En ce mois de mars 2018, l’actualité vient de nous fournir deux nouvelles preuves de la montée en puissance des comportements radicaux et violents, et des idéologies intégristes : une prise d’otages dans un supermarché qui a fait quatre morts et le meurtre d’une personne âgée, qui avait déjà échappé de peu à l’enfer à cause de sa judaïté, le tout en moins d’une semaine ! Comme pour nous rappeler, s’il en était besoin, que l’horreur peut frapper partout, à n’importe quel moment, et surtout les plus faibles de nos concitoyens.
Mais il ne faut pas oublier que, parmi les faibles que notre République produit tout en se voilant la face sur ses problématiques, se trouvent des milliers, voire des millions de jeunes, qui résident dans des quartiers sensibles, qui ont un nom à consonance maghrébine ou africaine, qui ont une culture ou simplement une couleur de peau différente. Et qui, pour toutes ces raisons, se voient régulièrement refuser l’accès à un logement, à un emploi et ont même des difficultés avec certains services publics.
Ces jeunes désœuvrés, parce que la société choisit de les ignorer, ce sont ceux qui trempent dans des trafics faute de mieux, qui sont toujours suspectés les premiers à cause de leur adresse ou de leur faciès, et qui finissent, pour certains, par se radicaliser parce que la République n’est pas capable de leur tenir un discours d’acceptation et d’intégration, alors même qu’ils sont Français nés en France !
Les racines de la violence chez ces jeunes sont claires : chaque jour de leur vie, ils se voient refuser l’appartenance au peuple français, non à cause de leurs papiers, mais à travers les actes et questions apparemment innocentes du quotidien sur leurs origines. Comment faire naître un sentiment, sinon patriotique, du moins citoyen chez ces jeunes, alors qu’on leur rappelle sans cesse « qu’ils ne sont pas comme nous, de bons Français pure souche » – au passage, rappelons que l’Europe entière s’est construite sur l’immigration depuis l’arrivée des premiers hommes en provenance d’Afrique, en passant par les Invasions Barbares du Moyen Âge, puis par les différents mouvements de populations qui ont toujours existés, donc parler de « Français pure souche », quelle ironie !
Il faut que la France et son personnel politique comprennent que l’histoire de ces jeunes, descendants d’immigrés, n’est pas celle de leurs parents, et qu’il y aurait beaucoup de bien à tirer de cette population qui ne demande qu’un but dans la vie. Dans les années 60-70, l’État français a été trop heureux d’accueillir ces travailleurs durs à la tâche pour reconstruire notre pays, il ne pouvait décemment pas les renvoyer chez eux une fois le travail terminé, c’est évident ! Mais la logique aurait voulu qu’il anticipe que ces travailleurs, une fois installés, feraient des enfants, et que ces enfants acquerraient la nationalité française par droit du sol, ce qu’il n’a pas fait. Résultat : nous voici face à la deuxième génération issue de cette immigration, mise à l’écart dans ces ghettos que sont devenues les banlieues « sensibles », qui ne se sent pas française, et qui pour cela refuse les valeurs de la République.
Cette génération fantasme sur son pays « d’origine », pourtant elle n’en connaît bien souvent ni la culture, ni la langue. Certains retournent parfois dans leur famille restée « au pays », mais uniquement dans le cadre de vacances. Ceci leur donne une vision idyllique de cet « ailleurs » forcément meilleur que cette France qui les rejette. Pourtant, s’ils se revendiquent Marocains, Sénégalais ou autre, une fois dans leur pays d’origine, ils sont tout autant traités comme des étrangers. Et quelque part, c’est ce qu’ils sont, pris comme ils le sont entre deux mondes qui ne veulent pas d’eux !
La France doit faire face à ses responsabilités vis-à-vis de ces jeunes : elle ne peut pas jouer éternellement le rôle de la « mère qui rejette », face à ces pays d’origine qui seraient des « pères qui ignorent ». La blessure d’abandon est immense chez ces adolescents, aussi ne faut-il pas s’étonner de les voir adhérer au premier discours ou la première idéologie qui leur accorde un peu de reconnaissance et leur donne l’occasion de faire partie d’un groupe, d’une famille. C’est exactement ce qu’attendent les salafistes et autres intégristes de tous bords !
La banlieue c’est 1 500 quartiers en France. On y recense 300 000 jeunes de 16 à 24 ans qui n’ont ni école, ni emploi, ni formation. Depuis quarante ans, une dizaine de « plans banlieue » ont été mis en place par les gouvernements successifs, avec un bilan mitigé sur le terrain.
À l’approche du rapport Borloo, prévu pour le 20 avril, le désarroi, le dégoût et le dépit des maires, face à une Politique de la Ville qui leur accorde de moins en moins de moyens, ne cesse de croître. Au point que certains démissionnent après plusieurs années de mandat ! À leur yeux, cette Politique est entrée dans « une phase critique et de désespérance », et ils n’ont pas tort !
Je refuse de croire que la France, dans son ensemble, est raciste ou recluse dans sa défiance de l’autre : il est donc temps de nous donner les moyens, à travers les associations, les missions locales, et toutes les autres structures d’éducation populaire, de prendre le parti de notre jeunesse pour lui faire prendre conscience de sa valeur, pour l’inscrire dans le processus démocratique et la faire adhérer à nos règles de vivre ensemble, qui ne sont pas si mauvaises, pour peu qu’on fasse l’effort d’y participer.
Pour cela, il faut commencer par faire tout particulièrement attention aux mots : arrêtons de demander systématiquement aux personnes de couleurs ou ayant un nom apparemment « exotique » d’où elles viennent. Et prenons bien garde aux étiquettes que les médias assènent un peu trop hâtivement : les violences sont d’abord et avant tout les actes de personnes déséquilibrées. Celles-ci se revendiquent d’une religion parce qu’à leurs yeux, cela la légitime, mais c’est bien leur déséquilibre affectif qui est en jeu, non la religion– qui, fort heureusement, rend des milliards de gens meilleurs dans le monde ! – aussi, pour sortir de l’escalade et désamorcer les rancœurs, évitons les amalgames de ce genre et expliquons le sens et l’importance des mots à nos jeunes !
Un jeune veut faire le djihad ? Prouvons-lui que le véritable sens de ce terme, ce n’est pas la Guerre Sainte, menée en armes contre les « infidèles », dans le but d’imposer la foi islamique, comme veulent le faire croire les intégristes. Ceux-ci s’appuient sur des textes religieux musulmans en les détournant de leur contexte et leur assignent des finalités et des objectifs en totale contradiction avec l’essence même de l’islam. Le Djihad, c’est d’abord et avant tout un combat contre soi-même, un effort sur soi et une élévation spirituelle qui engagent l’individu sur la voie de l’altruisme, au service de l’humanité.
« N’agressez point, Dieu n’aime pas les agresseurs. » (Coran, 2 : 190) « Quiconque tue un être humain[…] tue l’humanité toute entière. Quiconque sauve un être humain sauve la vie de l’humanité toute entière ! » (Coran, 5 : 32).
Travaillant au quotidien dans les quartiers, auprès de ces jeunes, je sais combien ils en ont assez d’être stigmatisés et ont désespérément besoin d’écoute et de gestes forts dans leur direction. C’est donc par une analyse objective, non moralisatrice, que nous parviendrons à endiguer ce fléau qu’est la radicalisation et à proposer un avenir à notre jeunesse et à notre pays.
Bruno Pomart
– Maire sans étiquette de la commune de Belfou dans l’Aude.
– Ex-policier du Raid – Police Nationale
– Auteur du livre « Flic d’élite dans les cités »
– Président et fondateur de Raid’Aventure Organisation