Violence et crise de confiance : Comment repartir de l’individuel pour reconstruire le collectif

La France assiste à un déclin inquiétant de l’optimisme de ses citoyens. De plus en plus, le projet sociétal français se délite au profit de préjugés et de luttes intestines entre les différentes franges de la population, sur fond de mondialisation et d’invasion numérique. À l’heure où l’urgence de repenser le vivre ensemble devient plus que pressante, on peut se demander comment promouvoir celui-ci,quand les élites et les classes plus modestes se renvoient dos à dos des arguments bien souvent fondés sur de la désinformation, ainsi qu’une méconnaissance croissante de ce qu’est et de ce qu’implique la citoyenneté.

Aujourd’hui, près de 90% des Français sont persuadés que leur futur sera pire et que le meilleur est à rechercher dans le passé. Or une société incapable d’envisager son avenir commun et qui se réfère à un passé mythifié en dépit des progrès à l’œuvre en son propre sein, c’est une société en grand danger de rupture ! De plus, l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux favorise une horizontalité du débat, tandis que nos institutions demeurent figées dans une verticalité qui les éloigne des préoccupations de ceux qu’elles sont censées représenter et servir.

Les politiques des 40 dernières années ont ainsi une responsabilité évidente dans cette crise, pour avoir laissé le fossé se creuser entre les citoyens et eux, et parmi les citoyens entre eux, pour avoir fait s’étioler le sentiment que notre société avait un projet commun,et pour avoir mis en difficulté, voire progressivement anéanti dans certains quartiers, le tissu associatif et l’ensemble des structures favorisant le lien social, qui permettaient d’évacuer les frustrations par le dialogue et de « faire tampon » avec les décisions politiques.

Toutefois, ils ne sont pas les seuls responsables de la situation : à leur mesure, parce qu’ils sont en recherche permanente de l’immédiateté et de l’image choc, les médias ont également leur part de responsabilités dans la dégradation du climat social. En effet, quand la meilleure façon d’obtenir son « quart d’heure de gloire » à la télévision consiste à casser, à caillasser, à détruire, comment s’étonner que la violence soit aussi banalisée ?

Actuellement, la majeure partie du système d’information est conçue avec peu de distance critique et de réflexion de fond, dans l’émotion de l’instant. L’avènement du numérique est à l’origine de ce « besoin » absolu d’être « au plus près des événements », les chaînes d’information en continu en sont une résultante parfaite, mais cette proximité se fait au détriment de la constructivité et de l’échange posé et intelligent.

Les réseaux sociaux sont, à ce titre, une autre dérive dans laquelle plonge l’information de nos jours. Ce n’est pas parce qu’une nouvelle est relayée de multiples fois qu’elle est fondée ou vraie. Sans vérification consciencieuse, n’importe qui peut être pris au piège de la désinformation et entretenir ses frustrations par le biais de certitudes erronées. Cette vérification, qu’il nous appartient de faire autant que les médias, cela s’appelle l’esprit critique, et force est de constater que la formation de celui-ci, que ce soit à l’école ou par l’expérience que la vie nous en apporte, laisse de plus en plus à désirer.

L’entretien du mépris et du climat angoissant, le détricotage des réseaux (réels) de proximité, et l’absence d’écoute entre le peuple et le pouvoir politique, tout ceci ne pouvait que faire couver et amplifier cette violence qui éclate aujourd’hui. Une colère non-exprimée ou exprimée mais non-écoutée est une colère qui s’alimente elle-même. Or une société qui place le lien social au second plan, derrière ses intérêts économiques, crée de plus chez ses citoyens une solitude profonde, qui favorise elle aussi la rumination de cette colère, jusqu’au point où celle-ci prend toute la place, y compris celle de la raison et du jugement.Ceci peut expliquer l’extrême violence qui se déchaîne dans notre pays, sans que celle-ci soit moins condamnable pour autant. Nous sommes actuellement dans la phase d’expression de cette colère, que nous sommes tous forcés d’écouter. Il nous faut donc trouver des moyens de l’apaiser afin d’amorcer un dialogue raisonnable et de trouver des compromis acceptables par toutes les parties.

Lors de son intervention au JT de TF1 le 7 janvier, j’ai été heureux d’entendre les mesures annoncées par Édouard Philippe, en faveur de la restauration de l’autorité des forces de l’ordre et de l’engagement de la responsabilité des « casseurs ». Enfin une réponse autoritaire assumée et appropriée !

La création d’un fichier similaire au fichier anti-hooligan pour les casseurs identifiés, cela fait des mois que les policiers la demandent : celui-ci ayant fait ses preuves dans les stades, il n’y a aucune raison pour qu’il soit moins performant dans les manifestations. De la même manière, il me semble juste que la Responsabilité Civile des casseurs, dont les actes auront été jugés, soit pleinement mise à contribution et finance les réparations des dégâts occasionnés, en lieu et place de l’argent des contribuables.

Le Premier Ministre l’a rappelé, la plupart des manifestations déclarées se sont déroulées pacifiquement, et il est tout à fait normal que le droit de manifester soit maintenu et protégéCeux qui viennent dans le seul but de semer le désordre, la peur et la confusion restent une minorité opportuniste, à laquelle il faut répondre avec la plus grande fermeté.

On peut en revanche observer cette tendance chez tous ces fauteurs de trouble : qu’ils s’attaquent aux bâtiments publics, aux commerces ou aux forces de l’ordre, cela relève entièrement du symbole. À travers eux, ce sont les institutions républicaines, et plus personnellement Emmanuel Macron qui sont visés. Mais en s’attaquant aux piliers de notre État de droit, se rendent-ils compte de ce que cela implique pour eux-mêmes, à quel point ces piliers sont les garants de nos libertés et de nos droits ? Et quand ils s’en prennent aux policiers, réalisent-ils qu’ils ont en face d’eux des citoyens qui leur ressemblent, qui peut-être même les soutiennent en leur for intérieur, mais qui leur font face parce que c’est leur métier et leur mission ?

Le grand débat national qui va débuter le 15 janvier est une belle opportunité pour chaque citoyen, à son niveau individuel, de clamer son ras-le-bol et de soumettre ses idées de solutions. À mon niveau de maire d’une petite commune, je vais m’engager pleinement dans cette entreprise. Tout comme moi, les Maires de France espèrent beaucoup de cette consultation, en terme de reconnaissance de leur fonction et de son importance dans le processus démocratique.

Son plus grand défi consistera toutefois à mobiliser la majorité silencieuse de la population,aux idées modérées, qui a peu l’habitude de s’exprimer, voire qui s’est dépolitisée ces dernières années.Tout projet de démocratie participative doit commencer par le réengagement civique de l’ensemble des citoyens, faute de quoi ce sont les discours extrémistes qui vont ressortir, à l’instar de la consultation du CESE, qui a fait émerger comme « première revendication des Français » l’abrogation du mariage pour tous !Nous pouvons être sûrs que de tels discours, émanant d’activistes minoritaires de tous bords, s’inviteront dans les discussions, mais nous ne pouvons nous permettre de tels retours en arrière, c’est pourquoi j’appelle tout un chacun à participer à ce grand débat, afin qu’il soit équilibré et constructif. Nous devons cet effort à notre démocratie !

Néanmoins, tout ceci suppose un effort concomitant de la part de l’exécutif sur les volets de la formation et de l’information des citoyens. Rappelons-le, on ne naît pas citoyen, on le devient. De même, on ne naît pas doté d’esprit critique, il faut le forger.Ceci implique plus de clarté dans le discours politique, des espaces facilement identifiables d’information sûre et vérifiée, et une dimension humaine, bienveillante, qui puisse toucher les personnes directement.

L’être humain a un formidable potentiel de fraternité, pour peu qu’on le sorte de sa solitude : sur les ronds-points, nombreux sont les gilets jaunes qui redécouvrent le sens de ce mot et le sentiment de solidarité qui l’accompagne. Il nous faut ainsi repartir de l’individuel pour reconstruire le collectif, redonner confiance en soi et en notre société à l’ensemble des Français. Ce sera le seul moyen pour notre nation de se réinventer et d’envisager à nouveau sereinement l’avenir, à l’échelle nationale mais aussi européenne, l’Europe demeurant le plus grand idéal politique jamais conçu par l’Homme, ne l’oublions pas.

Bruno POMART
– Maire sans étiquette de la commune de Belfou dans l’Aude
– Président et fondateur de l’association Raid Aventure Organisation www.raid-aventure.org
– Ex-policier du Raid – Police Nationale – Chevalier de la Légion d’honneur – Chevalier de l’ordre National du mérite
– Auteur du livre « Flic d’élite dans les cités »